LE ROMAN ET SES PERSONNAGES L. A. N°2: AU BONHEUR DES DAMES, ZOLA

Publié le par cdflscej.over-blog.com

Lecture Analytique n°2 : extrait du chapitre 14. Une description poétique du triomphe.

 

Il s’agit de la grande vente du blanc. C’est la troisième vente du roman : la plus grandiose, celle qui scelle le succès de Mouret (le million de francs de recette est dépassé). Elle est aussi l’apothéose des agrandissements du Bonheur des Dames, en écho avec les bouleversements dans Paris (percement de la rue du dix-décembre).

Zola a voulu faire avec le Bonheur des dames, le « poème de l’activité moderne ». Dans cet extrait il fait vraiment figure de poète en décrivant les rayons, les comptoirs débordant de blanc. Mais cet extrait est aussi fastueux pour annoncer le dénouement du roman : le mariage de Denise avec Octave Mouret. Le blanc se dote ainsi de plusieurs connotations qui font de cet extrait un passage clé du dernier chapitre du roman.

 

1.       Une description poétique du blanc

2.       Blanc : connotation du mariage et de la pureté

 

1.       Description de l’exposition du blanc

 

a)      Une description fortement structurée

 

Le pivot de la description est le groupe des dames (madame Guibal, madame de Boves et sa fille, rejointes par madame Desforges) qui viennent d’entrer dans le magasin. Elles restent saisies par l’immensité des comptoirs et la décoration blanche à l’occasion de la grande vente du blanc.

Elles font pivot car, dans leur saisissement, elles restent immobiles. Cela permet au narrateur de répartir ses angles de vues pour décrire l’exposition du blanc : le vestibule, les galeries de gauche (galerie Monsigny) et de droite (galerie Michodière), la galerie centrale avec les escaliers (élévation du regard) et, de nouveau le grand hall (apothéose de l’autel au-dessus du comptoir de la soie).

Il y a une nette intention de créer un mouvement qui part de l’entrée pour s’enfoncer dans le magasin (les trois galeries), qui monte ensuite (escaliers) pour redescendre avec majesté au-dessus du grand hall. Ce mouvement est ample et solennel par la grandeur des lieux et la hauteur des escaliers d’où descendent les tentures qui forment la tente.

 

La structure rigoureuse des lieux et du mouvement permet au narrateur de se livrer à la prouesse d’une description centrée sur la seule couleur blanche et d’en tirer les effets les plus divers.

 

b)      Un prodige : « spectacle prodigieux » pour les clientes et pour les lecteurs

 

Le terme « blanc » et ses dérivés sont employés un peu moins de quarante fois (36 exactement) ! On pourrait donc s’attendre à une certaine monotonie… mais au contraire, c’est le prodige d’un spectacle et d’une écriture qui se produit.

 

-          Le prodige d’une écriture

La monotonie attendue n’a pas lieu, et cela par de nombreux effets de variations.

 

La variation vient tout d’abord de l’énumération des articles, justifiée par la mise en vente qui donne lieu à l’exposition du blanc : toiles, calicots, draps, serviettes, mouchoirs, boutons, chaussettes, molleton, soies, rubans, gants, fichus, mousseline, foulards, piqué, basin, couvertures, couvre-pieds, guipure, dentelles, rideaux, mousselines, gazes, guipures d’art, tulles brodés, soie orientale.

Nous pouvons remarquer que cette variation d’articles s’intensifie au fur et à mesure que le mouvement s’amplifie et se solennise. Il y a un effet d’intensification en écho avec l’autre moyen employé par le narrateur pour dynamiser sa description et lui donner une dimension véritablement poétique : la poésie d’une mise en vente colossale.

 

Les images sont ensuite extrêmement nombreuses et s’enchaînent rapidement. Elles soulignent toutes l’immensité de la vente : que ce soit par référence géographique (steppe, glacier), par évocation d’un « vaisseau », d’un « incendie », d’un « astre ». Elles préparent le déferlement des articles, elles lui donnent des dimensions sauvages et naturelles. Le lecteur sort donc du cadre strict du magasin avant d’être placé face à cet amoncellement de marchandises blanches placées en décorations plus ou moins sophistiquées. L’effort poétique est manifeste et grandiose. D’autant plus que le flot d’images se poursuit au cœur de l’énumération des articles. Surtout au moment où le mouvement de la description se fait ascensionnel (au niveau des escaliers). Il y a un rapprochement entre les draperies (piqué et basin) qui font comme « une envolée de cygnes ». Les grands pans de tissus mimant les ailes des cygnes.  Et cet envol retombe ensuite en une « nappe neigeuse » faite de « duvet » et de « larges flocons », pour devenir « bannières d’église », se transformer en « essaims de papillons blancs », et finir en « fils de la Vierge ».

La beauté des évocations tient à la fois à leur abondance et à leur précision momentanée :

« … cette montée du blanc prenait des ailes, se pressait et se perdait, comme une envolée de cygnes ». Cette phrase est intéressante dans sa construction qui fond réalité et poésie. En effet elle débute sur le mouvement ascensionnel qui prend le blanc comme un matériau et le dote  d’une vitalité inopinée (montée du blanc), elle amplifie le mouvement ascensionnel en le caractérisant à travers l’image des « ailes » qui elle-même entraîne celle de l’ « envolée de cygnes ». Nous observons comment tout s’agrandit par le moyen des images et comment la simple succession des draperies mises en vente se transforme en poésie qui ravit à la fois les clientes et le lecteur en les étourdissant.

 

-          Le prodige d’un spectacle

Mouret, le narrateur l’a laissé entendre plusieurs fois, est un artiste pour concevoir les étalages. Il en a fait la démonstration le jour de l’arrivée de Denise au Bonheur des Dames, notamment, en mettant en contraste les coloris des soieries. C’est, dans ce passage de la grande exposition du blanc, l’apothéose de cet art de la mise en scène de la marchandise de telle sorte que les clientes en soient étourdies et n’aient plus que le désir d’acheter tant elles sont ravies par la beauté des décors.

 

Cette mise en spectacle de la marchandise tient à des effets d’optique qui jouent sur les dimensions devenues énormes du magasin. Les galeries sont nombreuses et profondes, il y a aussi les escaliers et les vastes vitrages. La lumière irradie la blancheur des tissus, la démultiplie au point de la rendre aveuglante : « un astre blanc dont le rayonnement fixe aveuglait d’abord, sans qu’on pût distinguer les détails, au milieu de cette blancheur unique ».

C’est ensuite la majesté des drapés qui tombent des escaliers et qui forment une tente au comptoir de la soie. Il y a la volonté d’un dépaysement que le travail des images avait déjà mis en valeur. Les clientes sont à la fois au Bonheur des Dames et ailleurs, dans un imaginaire de princesse, baigné de lumière.

Le narrateur n’oublie aucun article comme pour dire que c’est bien là un temple de consommation et non un théâtre d’évasion pur et simple. Il met même en valeur les objets les plus médiocres tels que les chaussettes blanches qui forment un décor : « un grand décor bâti avec des chaussettes blanches ».

 

Toute cette « débauche » de blanc marque un véritable triomphe pour Mouret, le directeur du magasin : triomphe de son entreprise commerciale et triomphe de l’amour, par anticipation.

 

 

2.       Triomphe commercial à travers celui de l’amour

 

a)      Blanc, signe de la vertu du Bonheur des Dames ?

 

Cet agencement sophistiqué et grandiose des différents tissus est effectivement fortement connoté : le blanc est associé certes à la saison commerciale mais aussi à la pureté et à la vertu. L’apothéose économique du Bonheur des Dames devient ainsi une consécration absolue qui confine presque au sacré. L’extrait étudié est en effet construit comme un ensemble d’images convergeant vers une image ultime : l’autel – lit nuptial, avec la figure de l’épousée glorieuse :

« On aurait dit un grand lit blanc, dont l’énormité virginale attendait, comme dans les légendes, la princesse blanche, celle qui devait venir un jour, toute-puissante, avec le voile blanc des épousées ».

 

Nous comprenons donc bien que cette exposition du blanc a une fonction narrative en plus de sa fonction poétique (poème de l’activité moderne). Les agissements de Mouret tout au long du roman n’ont pas été franchement vertueux : cette exposition qui signe le paroxysme de son développement serait une forme d’absolution. Après avoir occasionné la faillite de tous les commerces du quartier, entrainé la mort de Geneviève et de sa mère, la fuite dans la misère de Bourras et de l’oncle Baudu, le Bonheur des Dames est comme absout dans cette explosion de blanc qui culmine dans le blanc religieux d’un autel pour consacrer la réussite du nouveau commerce.

Toutes les images du texte (vues ci-dessus) se suivent et leur thématique se propage pour créer une atmosphère de douceur et de grandeur. Il y a mêlés au vol des cygnes, aux papillons et au ciel d’été d’où se détachent les fils de la Vierge des dentelles, des références religieuses qui s’intensifient : cela commence avec les « bannières d’église », se retrouve indirectement dans les « fils de la Vierge », se réactualise dans l’expression générique « religion du blanc » justifiée par une image de l’ « autel » formé au comptoir des soieries. L’intérêt est de solenniser le point d’orgue de tout ce passage : le lit nuptial. Pas un lit vénal puisqu’il y a la caution de la religion avec toutes ses connotations de pureté. Un lit de vierge. Et la vierge qui doit venir est Denise.

 

b)      Triomphe de Denise, caution vertueuse du triomphe commercial

 

Nous comprenons alors que toute la poésie de cet extrait avait comme but de parvenir à cette représentation anticipée de Denise, qui va devenir l’épouse de Mouret.

Triomphante dans sa vertu et dotant le magasin d’une aura virginale qui lui pardonnerait les faillites dramatiques qu’il aura occasionnées dans tout le quartier.

Elle a en effet vaincu les animosités de ses camarades de rayons, elle a vaincu la misère, les tentations, elle est encore au cœur des ragots du magasin mais elle impose désormais le respect par l’autorité qu’elle a acquise à force de vivre au diapason de son activité de vendeuse,  intéressée par tous les rouages du commerce. Elle est celle qui saura faire valoir la sincérité, l’honnêteté dans un monde de concupiscence, de désir fortement érotisé. Le blanc est ainsi naturellement la couleur de Denise, et sauve, à travers elle, le grand magasin d’une vision beaucoup plus sinistre.

 

 

 

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